Le salarié qui se contente d’évoquer des faits s’apparentant à du harcèlement moral sans toutefois les qualifier comme tel, peut-il bénéficier de la protection légale attachée à la dénonciation d’un harcèlement moral ?
La Cour de cassation (Cass. Soc. 18 avril 2023, n° 21-21.053) répond par la positive.
Ce revirement de jurisprudence étend considérablement la protection du salarié dénonçant « simplement » des agissements s’apparentant à du « harcèlement moral ».
Faits et procédure
Rappel du régime de la protection légale contre le licenciement en raison de la dénonciation de faits de harcèlement moral
L’article L.1152-2 du Code du travail dispose :
« Aucune personne ayant subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou ayant, de bonne foi, relaté ou témoigné de tels agissements ne peut faire l’objet des mesures mentionnées à l’article L. 1121-2.
Les personnes mentionnées au premier alinéa du présent article bénéficient des protections prévues aux I et III de l’article 10-1 et aux articles 12 à 13-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ».
Aux termes de l’article L.1152-3 du Code du travail, il est prévu :
« Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul ».
Ainsi, le salarié bénéficie d’une immunité notamment contre le licenciement du fait d’une dénonciation d’agissements de harcèlement moral, sauf en cas de mauvaise foi de sa part.
Sur ces fondements, et jusqu’à ce revirement jurisprudentiel, la Cour de cassation (Cass. soc. 13 septembre 2017, n°15-23.045 ; Cass. soc. 29 septembre 2021, n°20-14.179) jugeait que le salarié ne pouvait pas bénéficier de la protection légale contre le licenciement fondé sur la dénonciation des faits de harcèlement moral s’il n’avait pas lui-même, lors de cette dénonciation, qualifié les faits dénoncés de harcèlement moral, c’est-à-dire, fait expressément référence à la notion de « harcèlement moral ».
L’avis de la Cour de cassation
La Cour de cassation juge que le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il n’ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi.
Pour opérer ce revirement, la Cour de cassation s’est fondée :
- d’une part, sur le principe d’égalité des armes : puisque l’employeur peut invoquer devant le juge, sans qu’il soit tenu d’en avoir fait mention au préalable dans la lettre de licenciement, de la mauvaise foi du salarié licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral (Cass. soc. 16 septembre 2020, n°18-26.696 ), le salarié doit également pouvoir se prévaloir devant le juge, de la protection contre le licenciement, alors même qu’il n’aurait pas employé lui-même l’expression « harcèlement moral » pour qualifier les faits dénoncés.
- d’autre part, sur la protection accordée au salarié licencié pour un motif lié à l’exercice non abusif par le salarié de sa liberté d’expression : le licenciement prononcé par l’employeur pour un motif lié à l’exercice non abusif par le salarié de sa liberté d’expression est nul (Cass. soc. 16 février 2022, n°19-17.871).
En synthèse
En laissant aux juges du fond le soin de vérifier « le caractère évident d’une telle dénonciation dans l’écrit du salarié, quand bien même les mots « harcèlement moral » n’ont pas été utilisés par ce dernier » (notice au rapport relative à l’arrêt du 19 avril 2023, n°21-21.053), la porte est ouverte au contentieux prud’homal.
L’employeur devra-t-il désormais diligenter systématiquement une enquête lorsque le salarié adresse un écrit faisant état de différents faits, sans pour autant les qualifier expressément de « harcèlement moral » ?
La prudence est de mise !